lundi 4 novembre 2013

DEJEUNER en ville


C'est une brasserie comme il en existe en face de chaque gare. Elle accueille à la fois les habitués du petit noir sur le zinc et les voyageurs assoiffés en attente de départ. Elle nourrit aussi copieusement ceux qui prennent le temps d'y déjeuner ou sont obligés d'y diner en attendant leur rendez-vous du lendemain. Le rapport qualité/prix est bien en faveur du côté gustatif. 

Je ne la fréquente cependant que rarement, car elle est située dans mon quartier, et que je suis plus "habitué"  aus zones de chalandise de la  périphérie, bien qu'on y trouve les mêmes enseignes à Lorient, Martigues, Albi, Lille ou Hérouville St Clair...
C'est donc un jour exceptionnel qui m'y fait déjeuner, invité par ma chère et tendre qui sort de chez sa coiffeuse préférée, dont l'établissement est à deux pas.
Notre entrée est saluée par les hommes de service, en noir et blanc, qui font leur cinéma entre le tables. Du jeune chauve frisant la quarantaine à l'ancien au regard apparemment absent, mais qui voit tout et dont les yeux sont des antennes, on y trouve le panorama de tout le personnel des comptoirs et des salles nappées de coton et de serviettes en tissu. On est près de la gare certes, mais ici les serviettes de table n'ont pas laissé leur place aux "lotus" en papier fleuri. C'est dire qu'on prend soin de votre palais comme de vos lèvres.
Même la patronne, dame patronnesse, aimable et distinguée, qui se faufile entre les clients, ceux qui partent déjà pour ne pas rater leurs trains, comme ceux qui fréquentent les lavabos après avoir passé commande.
Nous sommes guidés vers la banquette qui fait le tour du mur principal et installés entre deux tables déjà garnies de convives, mais dont les commandes sont encore en cuisine. Sur ma gauche, deux femmes et deux hommes qui semblent bien se connaître sans apparaître cependant comme unis dans un couple. Les conversations que l'acoustique de la salle nous fera parvenir, de même que pour le couple se trouvant à ma droite nous le confirmeront : ce sont des "collègues".

Parmi les quatre de "gauche", il y a la régionale de l'étape, qui connaît bien le nouveau président de l'université, "un peu jeune pour assumer cette responsabilité" dira-t-elle. Les trois autres ont l'occasion de se rencontrer régulièrement dans des "laboratoires", autour de thèmes de recherche qui les conduisent à parler "des abus de positions dominantes" de certains de leurs collègues universitaires.
A parier que ce sont des "enseignants du supérieur" on gagnerait sans doute car leur niveau de connaissances  les a conduit ce jour en ces lieux pour faire partie d'un jury.  Après la choucroute, les profiteroles et le café arrosé de mirabelle, j'ai une pensée pour les étudiants qui les subiront cette après-midi. Heureusement ils sont convenus de ne pas intervenir plus de dix minutes chacun : "ce n'est pas la peine d'en faire autant chaque fois". Ce n'est pas la peine non plus de manifester trop souvent. "La dernière fois que j'ai manifesté c'était pour le Hamas, il y a longtemps" dira l'un d'eux.
Les domaines d'activités des voisins de droite font aussi l'objet de leurs conversations. Menées à voix plus basse --- ou est-ce le fait de ma surdité précoce  ---  ne me permettra pas de bien saisir leurs secteurs d'intervention. Des mots échangés, des agendas ouverts sur la table et des dossiers posés contre les pieds de la table laisseront supposé qu'ils ont chacun "leurs" clients. Mais pas "toute leur tête" au vu d'un dossier resté sous la table au moment de leur départ. Je me ferai un devoir de les en alerter pour leur éviter toute déconvenue.
Tandis que nous dégustons, qui du poisson en brandade, qui de l'omelette paysanne  --- devinez lequel des deux ? --- les tables encore libres se remplissent et le turn-over des affamés se poursuit.  Arrivées les dernières, deux dames grisonnantes et bien mises ouvrent leurs boites de pilules et parlent de leurs amis qui collectionnent les prothèses. Elles sont attentives l'une envers l'autre et se racontent les messages téléphoniques de leur parenté reçus à l'occasion de la nouvelle année.  L'une s'étonne de n'avoir pas eu des nouvelles de Chantal : "car si Alain t'a téléphoné, Chantal devait être à côté !" Mais elles n'en font pas de parano, leurs vies sont assez riches de contacts pour ne pas se soucier des humeurs de leurs descendants.
Leurs bagages sur la banquette laissent envisager un retour qui se fera tranquillement dans l'après-midi. Elles seront encore à table à notre départ. Tout comme le monsieur solitaire servi avant le départ du cuisinier qui commandera une choucroute, précédée d'un blanc sec en apéritif.
Il est 14h quand nous réglons l'addition qui confirme notre opinion initiale : nous reviendrons.




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